Portraits de leaders en 3 Jean [1ʳᵉ partie]

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Je n’avais jamais réalisé à quel point 3 Jean recèle de pépites sur le leadership de l’Église. Elle contribue à notre compréhension du rôle des leaders, et du rôle éventuel de leaders transverses aux Églises. Ce billet, bien entendu, ne relève qu’une infime partie de ce que nous pourrions apprendre du leadership dans l’Église. Voici 4 portraits de leaders pour ce premier article. 4 principes essentiels du leadership dans l’Église suivront.

Avec ses 219 mots, c’est la plus petite lettre du NT.[1] Elle ressemble beaucoup à la précédente, même si celle-ci s’adresse à un homme plutôt qu’à une Église. Elle reflète néanmoins la même joie, le même accent sur la vérité et la marche dans la vérité.

Ce qui lui est unique, c’est le petit drame qui se joue autour de la question de la conduite des Assemblées. Bien entendu, toute ressemblance avec des situations actuelles seraient fortuites, car les Églises et leurs responsables ont maintenant beaucoup plus de maturité…

Je me suis amusé à la traduire pour mieux être interpellé par son contenu. En lisant, notez les protagonistes et leurs actions…

L’ancien au cher ami Gaïus, que j’aime dans la vérité[2]. 2 Cher ami, je prie qu’en tout tu progresses[3] et que tu aies la santé, comme progresse ton âme. 3 Car je me suis beaucoup réjoui quand des frères sont venus et ont témoigné de ta vérité, comme tu marches dans la vérité. 4 Aucune joie ne surpasse en moi[4] celle d’entendre que mes enfants marchent dans la vérité.

5 Cher ami, tu fais preuve de fidélité dans ce que tu accomplis vis-à-vis des frères, notamment étrangers, 6 qui témoignent devant l’Assemblée[5] de ton amour, et pour qui tu feras bien de pourvoir à leur périple d’une manière digne de Dieu. 7 Car c’est pour le Nom qu’ils sont partis, ne recevant rien des peuples étrangers[6]. 8 Nous devons donc soutenir[7] de telles personnes, afin que nous devenions collaborateurs de la vérité.

9 Moi-même j’ai écrit quelque chose à l’Assemblée, mais Diotrèphe, qui aime la direction[8], ne nous reconnaît[9] pas. 10 C’est pourquoi, si je viens, je lui rappellerai ce[10] qu’il fait, les paroles sales par lesquelles il nous diffame.[11] Non content d’en rester là, il ne reconnaît pas les [le service des] frères et ceux qui désireraient les recevoir, il les empêche et il les chasse de l’Église.

11 Cher ami, n’imite pas le mal mais le bien. Celui qui fait le bien est de Dieu. Celui qui fait le mal n’a pas vu Dieu.

12 Démétrius a fait l’objet de la validation[12] de tous, et de la vérité elle-même. Nous aussi nous en témoignons, et tu sais que notre témoignage est vrai.

13 J’ai beaucoup à t’écrire, mais je ne veux pas t’écrire avec l’encre et la plume, 14 mais j’espère te voir bientôt, et nous parlerons de vive voix[13]. 15 Paix à toi! Les amis te saluent. Salue les amis, chacun par son nom.

Vous avez bien compté? 4 personnages, 2 assemblées, et des frères en mission. Dans ce premier article, nous relevons le portrait de ces leaders. Dans le second, nous proposerons quatre principes de leadership fondés sur cette épître, avec des questions de réflexions.

4 personnages, 2 assemblées, des frères en mission

L’ancien

C’est l’apôtre Jean[14]. Il écrit ces lignes à un âge fort avancé entre 85 et 95 ap. J.-C. Très bientôt, il sera exilé sur l’ile de Patmos où il consignera par écrit la vision qu’il recevra, l’Apocalypse. D’Éphèse, il a une vue périphérique sur le développement des Églises, notamment en Asie Mineure où elles sont nombreuses.

Ce que j’aime profondément chez cet homme, c’est la tendresse et la rigueur avec lesquelles il aborde les situations de vie. En 1 Jean, il délimite l’essentiel du christianisme: aimer Jésus et la vérité d’une juste doctrine de l’incarnation et de l’expiation, marcher dans cette vérité avec tout ce que cette obéissance implique, discerner le mensonge en rejetant les faux prophètes… et donc aimer profondément son prochain « dans la vérité » car c’est cela, la véritable articulation de ces piliers.

Je note qu’il n’emploie pas le titre d’apôtre. Il influence par sa réputation et son vécu, et non par sa position ou son autorité. Il est le dernier apôtre vivant. Mais il parle comme « l’ancien ». L’homme du recul, de l’expérience, et de la maturité. Pas l’homme du contrôle ou de la puissance.

Jean veut le meilleur pour Gaïus, son protégé. Jean lui souhaite le succès de ses actions, de sa situation, comme il en va de son âme. C’est la santé de son âme, le sujet de sa joie, avec le souhait qu’il en aille de même pour tout. C’est un beau vœu, ni hyper-spirituel au mépris de la vie concrète, ni hyper-matérialiste comme le voudrait le soi-disant évangile de prospérité. Que les vies fleurissent en tout point – une attitude touchante!

→ Un point d’application. Si l’âge et l’expérience te rapprochent de Jean, quel héritage laisses-tu à ceux qui t’observent?

Gaïus

C’est un grand inconnu. Il porte un nom très commun à l’époque (Ac 19.29, 20.4, Rm 16.23, 1Co 1.14), et on ne sait rien de plus sur lui. C’est bien ainsi. Il est ce soldat inconnu – ou plutôt ce leader d’Église inconnu. Il est comme toi, comme moi. Un pasteur ou un ancien quelconque, qui fait du mieux qu’il peut, et dont on ne trouvera aucune référence sur Wikipédia.

Mais il est le cher ami de Jean, son « bien-aimé », désignant par ce titre une proximité affective touchante avec Jean. C’est également ainsi que le Seigneur considère tout disciple authentique (cf. Rm 1.7, Ép 5.1).

Ce que je constate chez cet homme et qui me touche, c’est que son monde, c’est celui de la vérité – ou Vérité. La Vérité, incarnée comme rédigée. Pas une orthodoxie intellectuelle, froide, relevée sur des livres qu’il aurait écrits, lus, ou attestée par des diplômes qui lui auraient été octroyés. Mais une Vérité observée et reconnue par des frères qui en attestent. L’authenticité du Vrai se manifeste concrètement dans la vie. Et cela conduit toujours les frères qui l’observent à aimer Jésus davantage, et à en témoigner. Aimer et entraîner d’autres à aimer Jésus. Voilà le leader par excellence.

=> Un point d’application. Si tu es un jeune responsable, est-ce que l’Église perçoit tes progrès dans l’amour et la mise en pratique de la Parole, vivante et écrite?

Diotrèphe

Lui, c’est Monsieur-Pasteur-Ancien-Bishop-Apôtre. Peut-être a-t-il d’autres titres, comme celui de prophète, mais il a l’humilité de ne pas les ajouter sur sa carte de visite. Il est l’inverse de Gaïus.

D’où vient cette différence? il s’aime lui-même[15] et il aime le leadership qu’il exerce par le nombril. Il aime cette position de contrôle et d’autorité, et non le service rendu, non la gestion d’un mandat dont il devra rendre compte, car il ne s’exerce que par délégation du Seigneur.

Ce que je constate chez Diotrèphe – tout en me gardant de lui jeter la pierre, car je connais combien mon cœur est capable du pire – c’est qu’il calomnie des serviteurs de Dieu, et qu’il empêche leur influence. Il a même détruit la lettre que l’apôtre Jean a envoyée! Il empêche même les missionnaires et les enseignants de parler! Il aime se mettre en scène, seul. C’est le leadership one-man-show.

→ Un point d’application. Si tu es responsable, est-ce que tu exerces ton leadership sans aucune forme d’influence extérieure? Si c’est le cas, tu es danger. Ton Église aussi.

Les frères 1 – probablement l’assemblée de Gaïus

Ils sont mentionnés au verset 3 et correspondent à ceux qui ont attesté de l’excellence du caractère de Gaïus auprès de Jean. Ils grandissent avec cet homme, et cet homme grandit avec eux. Ensemble, grâce à l’Esprit saint qui anime Gaïus, et grâce à l’esprit réceptif de l’Église à l’enseignement de Gaïus, ils s’édifient dans l’amour (Ép 4.16).

→ Un point d’application. Si tu es membre d’une Église, écoute ceux qui enseignent droitement la Parole de Dieu. C’est l’essence de ce que signifie ne pas attrister le Saint-Esprit en Éphésiens. 4.30.

Les frères 2 – probablement des serviteurs itinérants

Ils sont mentionnés au verset 5 et correspondent vraisemblablement à des missionnaires itinérants. Surtout des enseignants, qui allaient d’Église en Église pour les fortifier. Du temps de Jean, plusieurs faux prophètes et faux docteurs avaient commencé à circuler (cf. 2P 2.1; 1Jn 4.1s). Ce phénomène s’est amplifié à la mort des apôtres au point que l’église primitive a donné un cadre à ce type de ministère:

À l’égard des apôtres et des prophètes, agissez selon le précepte de l’Évangile, de la façon suivante. Que tout apôtre venant chez vous soit reçu comme le Seigneur. Mais il ne restera qu’un seul jour, ou, en cas de besoin, un deuxième; s’il reste trois jours, c’est un faux prophète. Qu’à son départ l’apôtre ne reçoive rien, sinon assez de pain pour gagner un gîte; s’il demande de l’argent, c’est un faux prophète[16].

Bien entendu, ceux qui sont mentionnés en 3 Jean sont des frères utiles à l’œuvre. Et ils dépendent de l’hospitalité de l’Église pour l’expansion de la mission. Mais voilà que Diotrèphe leur barre la route de l’Église. Pire, il refuse même que ceux qui voudraient soutenir le travail missionnaire le fassent.

→ Un point d’application. Si tu es le leader d’une Église, prends soin des missionnaires. Ils ont une tâche importante à mener qui ne peut se faire que si l’Église les soutient.

Et ainsi…

On dit que l’Orgueil, l’Argent et le Sexe sont les trois pierres d’achoppement possible du leader. Clairement, c’est l’Orgueil qui est relevé ici. Que Dieu nous en garde – et il en est capable:

Que le Dieu de paix – qui a ramené d’entre les morts le grand berger des brebis, par le sang d’une alliance éternelle, notre Seigneur Jésus – vous rende aptes à tout ce qui est bien pour faire sa volonté; qu’il fasse en nous ce qui lui est agréable par Jésus-Christ, à qui soit la gloire aux siècles des siècles! Amen!

Hébreux 13.20–21


[1] Dans le texte original, selon Daniel L. Akin, “1, 2, 3 John”, vol. 38, The New American Commentary (Nashville: Broadman & Holman Publishers, 2001), 235.
[2] Int. Ce n’est pas un adverbe (« véritablement ») mais la description d’une sphère de vie qui caractérise Gaïus, un homme théologiquement orthodoxe, attaché à la vérité.
[3] Gr. Carrez: « bien avancer, d’où réussir […] prospérer » (Rm 1.10; 1Co 16.2; 3Jn 2).
[4] Gr. Litt.: « je n’ai pas de plus grande joie », mais l’original porte l’emphase sur « grande ».
[5] Gr.:Transcrit en français, le terme grec est devenu « Église ». Idem au verset 9.
[6] Gr.: Carrez: païens. 4 utilisations (Mt 5.47, 6.7, 18.17) pour désigner les peuples non-Juifs, La NetBible affirme que c’est quasiment équivalent au terme « ethnie ».
[7] Gr.: Accueillir, recevoir. Gr. Ancien: prendre par la main, soutenir.
[8] Gr. Traduit un seul verbe grec, composé du mot « apprécier / aimer » et « premier », d’où « aimer être le premier », celui qui dirige, le leader.
[9] Gr.: le verbe grec a la connotation d’accueillir, de recevoir. Int.: il ne semble pas y avoir eu de visite antérieure de la part de Jean. L’accueil de l’autorité de Jean explique mieux le sens, d’où « reconnaître ».
[10] Gr.: les œuvres.
[11] Gr.: Carrez, « dire des sornettes, tenir de mauvais propos ».
[12] Gr: même verbe que témoigner, attester, ici un parfait passif.
[13] Gr.: litt. de bouche à bouche.
[14] La similitude des préoccupations et style obligent à considérer le corpus johannique comme le fruit d’un seul et même auteur: un apôtre (Jn 1.14, 1 Jn 1.1), l’un des 12 (13.23, 19.26, etc.); Jean le fils de Zébédée (13.23-24; 18.15-16; etc.). Irénée note que les pères de l’Église ont attribué à Jean ces livres (Contra, 3.1.2).
[15] MacArthur remarque que son nom « (litt. « nourri par Zeus » ou « enfant adoptif de Zeus ») est alors aussi peu commun que celui de Gaïus est courant. Certains croient qu’on l’emploie exclusivement à l’époque dans les familles nobles. Si Diotrèphe est issu de la noblesse, il se peut que son arrogance lui vienne d’avoir grandi dans un milieu aussi distingué » John F. MacArthur Jr., Les épîtres générales et l’Apocalypse, Commentaires MacArthur sur le Nouveau Testament (Trois-Rivières (Québec): Publications chrétiennes, 1999–2009), 919–920.
[16] La didachè, XI, 3-6.

Pour aller plus loin:

Florent Varak

Florent Varak est pasteur, auteur de plusieurs livres dont le Manuel du prédicateur, L’Évangile et le citoyen et la ressource d’évangélisation produite en co-édition avec TPSG: La grande histoire de la Bible. Florent est aussi conférencier, et professeur d’homilétique à l’Institut biblique de Genève. Il est le directeur international du développement des Églises au sein de la mission Encompass liée aux Églises Charis France. Il est marié avec Lori et ont trois enfants adultes et mariés, ainsi que cinq petits-enfants. Il détient un M. Div de Master’s Seminary (Californie, USA) et un Master de recherche de la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine.

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