Pandita Ramabai: craindre Dieu, pas les hommes

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Dans le livre Courageuses, Catherine Parks nous partage 11 portraits de femmes ordinaires, dont les vies extraordinaires ont eu un impact bien plus important que tout ce qu’elles auraient pu imaginer. Des femmes qui, au travers de la puissance de Dieu manifestée dans leurs vies, ont eu une influence sur des milliers de personnes. Aujourd’hui, voici l’histoire de Pandita Ramabai. Ndlr.

Pandita Ramabai est une femme indienne érudite animée par deux passions. La première, c’est Jésus, et la deuxième, c’est la cause des femmes et des jeunes filles de son pays. Le nom "Pandita" est en réalité un titre, comme "professeur" ou "maître". Ses amis et sa famille l’appellent Ramabai (se prononce "Ramabaye"); c’est donc ainsi que nous l’appellerons.

Comme la majorité des Indiens dans les années 1800, le père de Ramabai, Anant Shastri, grandit en étant convaincu que les femmes sont incapables d’apprendre à lire et à écrire. Mais alors qu’il est lui-même étudiant, il rencontre une femme en train d’apprendre à lire et à réciter le sanskrit, une ancienne langue de l’Inde dans laquelle étaient rédigés des écrits religieux hindous ainsi que d’autres textes de la littérature indienne.

Il comprend alors que les femmes et les hommes devraient tous avoir accès à cette connaissance et décide d’enseigner la lecture à son épouse. Malheureusement, celle-ci refuse. Il abandonne donc son projet. Après la mort de sa femme, il se remarie; mais la famille de sa nouvelle épouse ne veut pas non plus qu’il lui enseigne à lire. Il l’emmène alors vivre avec lui dans la jungle, où ils élèveront leurs enfants.

C’est là, dans la jungle, que naît Ramabai le 23 avril 1858. Sa mère se sert de contes et autres textes religieux hindous pour lui apprendre à lire et à écrire. Quant à son père, il s’entoure d’élèves et de voyageurs désireux de bénéficier de sa sagesse. À seulement douze ans, Ramabai a déjà mémorisé pas moins de 18 000 versets tirés des textes sacrés hindous. Il était extrêmement rare pour une femme d’avoir une telle éducation et un tel savoir, même si, comme Ramabai, elle appartenait à une caste élevée (la "caste" désignait le groupe social et religieux dans lequel on naissait). Ramabai était brahmane, c’est-à-dire que sa famille appartenait à la caste la plus élevée et la plus estimée, ce qui lui donnait accès à de nombreux privilèges. Cependant, l’éducation des femmes n’était généralement pas permise, même dans la caste brahmane.

Lorsque Ramabai est encore une jeune adolescente, un événement majeur vient bouleverser sa vie: une famine touche toute la région. Ses parents vont accumuler d’énormes dettes et finiront par perdre leur fortune et tout ce qu’ils possèdent. Parce qu’ils font partie d’une caste élevée, ils n’ont jamais eu l’habitude de travailler. Tout comme sa grande sœur et son grand frère, Ramabai a de grandes connaissances, mais pas de compétences pour obtenir du travail. Au lieu de chercher un emploi, Ramabai et les siens dépensent le peu d’argent qu’il leur reste dans les temples et les lieux sacrés. En effet, ils espèrent qu’en adorant les dieux hindous et qu’en se baignant dans les eaux sacrées, ils seront délivrés du péché et de la malédiction qui, d’après eux, sont responsables de leur pauvreté et de leurs souffrances. Avec leur argent, ils essaient d’obtenir la faveur des dieux plutôt que d’acheter de la nourriture. Ramabai écrit: “Tous ces efforts pour satisfaire les dieux n’ont rien donné. Les images de pierre sont restées de pierre, elles n’ont jamais répondu à nos prières.”

Après quelque temps, les parents et la sœur de Ramabai meurent de faim et de maladie. Son frère est très faible. Ramabai et lui tentent de trouver de la nourriture là où ils le peuvent, mais ne mangent jamais à leur faim. Ils vont parcourir ensemble à pied plus de 6000 kilomètres. Au fil de ces pérégrinations, Ramabai commence à douter de la religion hindoue que ses parents lui ont inculquée. Elle voit comment les prêtres trompent les gens et soutirent leur argent. Elle remet en question tout ce qu’elle a appris depuis son enfance.

Petit à petit, Ramabai se met à aborder en public la question de l’éducation des femmes. Autour d’elle, son savoir surprend et impressionne. Un groupe de "pandits" (un titre qui désigne les maîtres du savoir) lui accorde un privilège inouï: Ramabai sera en effet la seule et unique femme à recevoir le titre de "Pandita", c’est-à-dire de "maîtresse du savoir". Elle connaît les enseignements sacrés et parle sept langues différentes (il existe un grand nombre de langues en Inde!). Elle finit par rejeter les enseignements de l’hindouisme et épouse un avocat bengali. Ramabai vit une existence heureuse avec son époux, mais celui-ci décède du choléra dix-neuf mois seulement après leur mariage. Peu de temps avant sa mort, Ramabai donne naissance à leur fille. Elle lui donne le nom de Manorama, ce qui signifie "la joie du cœur".

Ramabai est donc désormais veuve. Dans beaucoup de pays au monde, être veuve est bien sûr une situation triste et difficile: la femme a perdu son mari, mais ses amis et sa famille vont s’occuper d’elle pendant un certain temps. En Inde, être veuve est une situation bien pire. À cause des enseignements religieux, les gens sont persuadés que c’est la faute de l’épouse si le mari meurt. De nombreuses veuves sont ainsi chassées de chez elles, ce qui les force souvent à retourner vivre chez leurs parents qui n’ont généralement pas de quoi les nourrir. Elles doivent se raser la tête, abandonner leurs bijoux et leurs beaux vêtements, et sont maltraitées.

Pire encore, bon nombre de ces veuves sont de toutes jeunes filles, parfois de cinq ou six ans seulement. C’est difficile pour nous de comprendre comment c’est possible... de si jeunes enfants ne devraient pas être mariées! Mais la tradition exige que de si jeunes enfants soient parfois "mariées", c’est-à-dire qu’elles sont promises à un homme en mariage. Et cette promesse ne peut pas être brisée. La petite fille va donc vivre dans la famille de son mari. Sa future belle-mère lui apprend à cuisiner, à faire le ménage et à s’occuper de son foyer. Quand la fille est plus âgée, elle devient réellement une épouse. Mais si son mari meurt, elle est veuve et elle est obligée de passer le restant de sa vie dans la souffrance et la pauvreté. La plupart de ces jeunes filles ne savent même pas ce qu’est le mariage. À la mort de leur mari, on estime qu’elles ont porté malchance. Et puisqu’on les traite avec tant de méchanceté, elles s’imaginent être effectivement coupables d’avoir fait quelque chose de mal.

Pour Ramabai cependant, le fait qu’elle soit instruite lui permet de ne pas connaître les mêmes difficultés que les autres veuves en Inde. Partout où elle va, elle continue à partager publiquement ses convictions au sujet de l'éducation des femmes.

Son désir d’apprendre l’anglais et d’être davantage formée afin de mieux enseigner les jeunes filles de son pays la conduit un jour en Angleterre. C’est là qu’elle découvre la foi chrétienne. Des femmes de l’Église anglicane s’occupent d’elle et de sa petite fille, qui est encore un bébé. Aux yeux de Ramabai, ces femmes sont différentes: elles prennent soin des femmes les plus faibles et les plus démunies de leur communauté! “Mais pourquoi?” se demande Ramabai. L’une de ces femmes lui répond en lui racontant l’histoire de Jésus et de la femme samaritaine, dans Jean 4. Ramabai apprend alors que l’amour de Jésus pour les femmes ne ressemble à aucun autre, et qu’il est réellement le Sauveur du monde. Elle donne alors sa vie à Jésus et devient chrétienne. Les textes hindous proposent beaucoup d’idées bonnes et justes sur le sujet de l’amour. Mais Ramabai se rend compte qu’aucune de ces idées ne pouvait se réaliser en dehors de la grâce de Dieu. C’est cette grâce qui, comme l’affirme Ramabai, “fait toute la différence”.

Après l’Angleterre, Ramabai se rend aux États-Unis avec sa fille pour étudier la pédagogie de la petite enfance. Elle désire emporter ce nouveau savoir avec elle en Inde afin d’éduquer ces toutes jeunes filles qui se retrouvent veuves. Elle rejoint l’Union pour la sobriété chrétienne de la femme, une organisation de femmes recherchant le bien des femmes au travers notamment du droit de vote et du droit du travail. C’est là que Ramabai se fait des amies qui partagent sa vision et l’aident dans son projet. Ramabai voyage à travers les États-Unis pour essayer de convaincre le plus de gens possible de se joindre à elle, afin d’éduquer et prendre soin des jeunes filles veuves de son pays. Une fois qu’elle obtient le soutien financier nécessaire, elle repart en Inde pour accomplir son rêve.

Des années auparavant, avant qu’elle ne se rende en Angleterre, Ramabai avait rencontré d’autres réformateurs hindous (principalement des hommes) qui voulaient s’engager dans ce même combat. Ils trouvaient, eux aussi, le traitement des femmes inacceptable et voulaient que les choses changent. Mais lorsque Ramabai revient en Inde, elle est chrétienne. Beaucoup pensent qu’elle ne devrait pas enseigner sa nouvelle foi aux jeunes filles. Elle fonde alors un foyer pour les jeunes filles veuves qu’elle nomme "Sharada Sadan", ce qui signifie "la demeure de la sagesse". Les jeunes veuves y reçoivent des vêtements, de la nourriture et une éducation. Le foyer est dirigé par Ramabai et l’une de ses amies, chrétienne elle aussi. Les jeunes filles se sentent aimées, elles voient qu’on les traite différemment de ce qu’elles ont connu jusque-là, et bien sûr, elles se posent des questions... Jamais elles n’ont rencontré quelqu’un comme Ramabai! Quelle est donc cette foi qui la rend si différente des autres? Le matin, quand Ramabai prie et lit la Bible, elle laisse toujours la porte de sa chambre entrouverte. Au fil du temps, beaucoup de jeunes filles et de femmes du foyer se joignent à elle et entendent ainsi la bonne nouvelle de l’amour de Dieu pour elles.

Tout cela irrite ses anciens amis brahmanes; ils tentent de transformer le Sharada Sadan en un foyer hindou. “Quand tu lis ta Bible ou que tu pries, au moins, ferme ta porte!” réclament-ils. Les familles des jeunes veuves qui se convertissent au christianisme font tout pour leur faire quitter le foyer. Les journaux indiens publient des articles très méchants au sujet de Ramabai. Elle ne se soucie guère de ce qu’ils peuvent raconter de mal à son sujet; par contre, elle a peur que l’école ne soit obligée de fermer. Pendant cette période, Dieu se sert d’une déclaration de Jésus pour l’encourager:

Je vous ai dit cela afin que vous ayez la paix en moi. Vous aurez à souffrir dans le monde, mais prenez courage: moi, j’ai vaincu le monde.

Jean 16.33

Ramabai comprend qu’il est bien plus important de craindre et d’aimer Dieu que de craindre et d’aimer l’opinion des gens qui l’entourent. Elle écrit: L’année dernière, j’ai lu un livre sur la vie d’Amanda Smith. Elle a été pendant des années esclave aux États-Unis, mais a été libérée. Lorsqu’elle s’est convertie (qu’elle est devenue chrétienne), elle s’est écriée qu’elle avait été délivrée de l’esclavage non pas une fois, mais deux fois: libérée de l’esclavage la première fois, et libérée de l’esclavage du péché la deuxième. Moi aussi, j’ai de bonnes raisons de louer Dieu. La première fois, j’ai été libérée de l’esclavage de l’opinion des hommes, de cette crainte de l’homme qui retient tant de mes compatriotes en servitude. La deuxième fois, j’ai été libérée de l’esclavage du péché.

Une famine frappe soudainement plusieurs régions de l’Inde. Ramabai se rend compte que si personne ne leur vient en aide, de nombreuses veuves vont mourir. Elle effectue donc des missions de secours pour aller chercher des filles en danger et les ramener au Sharada Sadan. Elle prie que des centaines d’entre elles puissent apprendre à connaître Jésus et Dieu travaille effectivement dans de nombreux cœurs. Les femmes et les filles chrétiennes du foyer parlent de l’amour de Christ aux nouvelles arrivantes.

Plus le foyer accueille de femmes, plus il faut trouver de l’argent et de la place. Ramabai prie que Dieu lui donne tout ce dont elle a besoin, et notamment la sagesse. Dieu répond au-delà de ses espérances. Les résidentes plantent ainsi un verger de plusieurs centaines d’orangers, de citronniers et de manguiers. Après quelque temps, elles peuvent en vendre les fruits et gagner de l’argent. Elles plantent aussi un potager pour les repas des jeunes résidentes. Plus tard, elles construisent une nouvelle école, plus grande, qui peut accueillir encore plus de jeunes veuves dans le besoin. Ramabai nomme ce nouveau foyer "Mukti", ce qui signifie "salut" ou "liberté".

Ramabai sait que ces filles n’ont pas uniquement besoin d’apprendre à lire et à écrire: elles doivent également acquérir les compétences nécessaires pour trouver un travail après avoir quitté l’école. Son rêve est de former ces jeunes filles afin qu’elles deviennent des femmes chrétiennes, indépendantes sur le plan financier, des femmes qui partagent l’Évangile et leur savoir à travers l’Inde pour transformer d’autres communautés. Ainsi, les jeunes filles du foyer reçoivent des formations d’enseignantes, d’infirmières, de productrices d’huile, de blanchisseuses, de laitières, de cuisinières, d’ouvrières agricoles, de tisseuses, et de couturières.

Ces jeunes filles n’ont pas encore de Bible dans leur langue, alors Ramabai consacre plusieurs années à la traduction. L’amour de Christ se répand aux ouvriers qui ont construit l’école et à de nombreux habitants de la communauté. Des centaines de personnes croient en Jésus et sont baptisées. Au cours des deux famines qui vont toucher le pays, Ramabai et ses collègues vont ainsi secourir plus de deux mille jeunes filles et femmes! Elles seront emmenées à Mukti, où elles recevront tout l’amour et le soin dont elles ont besoin.

Ramabai meurt en 1922 à l’âge de soixante-trois ans. Néanmoins, son héritage continue à se transmettre au travers de la Mission de Mukti, à la fois dans la structure originelle, mais aussi dans beaucoup d’autres foyers ayant ouvert leurs portes depuis. Grâce à l’œuvre que Dieu a accomplie en Ramabai et à travers elle, des enfants, des femmes, et de nombreuses personnes souffrant d’un handicap sont pris en charge et aimés de l’amour de Christ aujourd’hui encore.


Cet article est extrait du livre Courageuses, "Craindre Dieu, pas les hommes", publié par BLF Éditions.

Voir aussi: "John Newton: l'ambition selon Dieu"

Catherine Parks

Catherine Parks a toujours aimé lire des biographies. Quand elle ne lit pas, elle aime aussi faire du volleyball, du basket, voyager avec sa famille, aider dans son Église. Elle vit à Nashville, dans l’état du Tennessee aux États-Unis, avec son mari et ses deux enfants.

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webinaire

Le féminisme: Liberté, égalité, sororité?

Découvre le replay de ce webinaire enregistré le 10 novembre 2022, en partenariat avec l’équipe du podcast Sagesse et Mojito: Christel Lamère Ngnambi, Jean-Christophe Jasmin et Léa Rychen.

Orateurs

L. Sagesse et Mojito